« À l’argentine » : la passion et la fierté au cœur de l’ascension des Pumas
Santiago Gómez Cora souffre de la peur de manquer. L’ancienne star des Pumas Sevens, qu’il coache depuis 2013, se remet d’une opération au dos. Il sera à Buenos Aires pendant que ses joueurs défendront leur titre à Perth.
« Je n’arrive pas à croire que je n’y serais pas », confie-t-il avec la voix d’un papa en deuil. « Depuis ma prise de fonction en tant que sélectionneur, je n’ai manqué qu’un entraînement en 12 ans. C’était à Hong Kong. J’avais 39° de fièvre et j’étais cloué au lit. C’était ma seule fois loin de mes joueurs. »
Il donnerait tout pour faire les 25 heures de voyage afin de rejoindre l’Australie et ce, même s’il avait juré qu’il ne voyagerait plus quand il a raccroché les crampons.
Durant sa belle carrière de joueur, Santi a voyagé aux quatre coins du monde. Il a même remporté le titre à Los Angeles et San Diego, atteint la finale de la Coupe du Monde à Dubaï et marqué des essais sur toutes les pelouses de la planète. C’est beau, mais c’est épuisant.
« J’ai arrêté à cause des voyages. J’étais fatigué de voyager autant. »
Son but, c’était de ranger les trophées dans l’armoire, le passeport dans le tiroir et travailler à la fédération. C’est ce qu’il a fait. Il était bien, heureux, tout roulait.
Puis, un jour de 2013, on est venu taper à sa porte. Le rugby à 7 était devenu olympique « et on m’a offert le poste de sélectionneur. En 2013, on a commencé à travailler en vue de Rio 2016. »
Depuis, il s’en est passé des choses. Le passeport n’a pas eu le temps de prendre la poussière.
Santi a disputé son premier tournoi en tant que sélectionneur lors du Gold Coast 7s. L’Argentine s’est inclinée en demi-finale du Bowl, avant de finir 11e puis 9e du classement général. Il avait du pain sur la planche.
Trois ans plus tard, ses Pumas se sont qualifiés pour Rio 2016. Lors des JO de Tokyo, les Argentins sont montés sur le podium. Marcos Moneta, alors grand espoir de la sélection, a marqué l’essai de la médaille de bronze contre la Grande-Bretagne.
« Au début, je ne savais pas quoi faire pour figurer parmi les meilleurs. Désormais, on attaque tous les tournois en tant que favori. En trois saisons, on a terminé troisièmes [du classement général], puis deuxièmes et enfin premiers. »
L’Argentine n’a pas décroché de médaille olympique à Paris, mais s’est positionnée comme la meilleure sélection du monde sur une grande partie de la saison. Lors du HSBC SVNS 2024, les Argentins ont terminé premiers du classement pour la première fois de leur histoire.
« C’est une fierté parce que nous avons formé tous nos joueurs sur cette période. L’Argentine fait aujourd’hui partie des meilleurs et c’est un résultat que l’on a obtenu à l’argentine. »
Pour Santi, c’est le fait que l’ossature de l’équipe évolue ensemble depuis aussi longtemps qui fait la différence.
« Nous n’accueillons pas d’étapes durant la saison, ce qui affecte notre budget. On doit tout le temps voyager. En plus, le championnat à XV n’est pas totalement professionnel ici. On ne peut pas choisir les joueurs que l’on veut.
« Tous les ans, on tente de trouver de nouveaux joueurs, la plupart sont avec nous depuis longtemps, comme Santiago Álvarez, German Schulz ou encore Gastón Revol [qui a pris sa retraite il y a peu]. Ils jouent avec nous depuis au moins 11 ans. »
C’est rare, de nos jours, de voir des joueurs de 7 durer plus de dix ans. La longévité de Santi Gómez Cora reflète son investissement. Il est si loyal et si fidèle qu’il était prêt à repousser son opération pour venir à Perth.
Il sait que l’entraînement et la compétition ne font pas tout et que les liens entre les hommes, la personnalité et l’esprit d’équipe sont aussi importants.
La saison 2024 des Pumas avait parfaitement commencé mais s’était soldée sur plusieurs déceptions, notamment avec la blessure de Moneta. « Il nous a manqué, tant sur le terrain qu’en dehors. Marcos est très important au sein de l’équipe, notamment dans la vie de groupe. Il sourit tout le temps, c’est vers lui qu’on se tourne quand on ne va pas bien ou qu’on veut une réponse. Il est toujours positif. »
En plus de Moneta, l’Argentine était orpheline de Rodrigo Isgró, joueur de l’année 2023, car il était suspendu trois matchs.
Après avoir pris un carton rouge contre la France lors de la Grande Finale du HSBC SVNS à Madrid, Isgró n’a pu revenir que lors des Jeux Olympiques, encore contre la France, en quart de finale. Mais ces Jeux Olympiques étaient bien ceux des Bleus et d’Antoine Dupont.
« La France a atteint son meilleur niveau au meilleur moment », explique Santi. « Quand tu accueilles une compétition, ton budget est supérieur et ta motivation est accrue. Si tu ajoutes à ça les joueurs de Top 14 et un joueur comme Dupont…
« On avait déjà battu la France en quart de finale sur le circuit. Évidemment, le match à gagner, c’était celui des JO parce que c’était pour ce match qu’on avait bossé. Mais bon, c’est ça, le 7. »
Santi le sait : il entraîne une équipe de champions en qui il croit fermement. « C’est mon tempérament. C’est très argentin. On est un peuple passionné. Mais c’est plus facile en tant que joueur. En tant que sélectionneur, ce n’est pas facile de gérer ses émotions. En football comme en rugby, on fait tout avec passion. On vit tous les sports à fond. C’est notre façon de vivre le sport. »
Alors que l’Argentine va défendre son titre à Perth, elle évoluera sans son sélectionneur, son coach, sa figure paternelle.
Santi affirme qu’il sera là à Vancouver, et je le crois, même s’il faut qu’il y aille à pied ou qu’il se gave d’antidouleurs.
Mais, pour une fois, on devra faire sans ses discours à la mi-temps, ses gesticulations depuis la ligne de touche et ses interviews pendant les matchs. Et si les Pumas l’emportent, avec ou sans Santi, ils danseront toujours avec passion.