« Pourquoi on ne pourrait pas faire comme Hong Kong ? » L’ambition qui a conduit au succès du Vancouver Sevens
De nombreux liens nous rapprochent, Gareth Rees et moi. Le bleu foncé de l’université d’Oxford nous unit à jamais, nous avons commenté ensemble certaines des plus grandes compétitions du monde et nous partageons une immense passion pour le rugby à VII. Cependant, il existe un moment que l’on a partagé et qui m’avait échappé.
En 2017, j’ai remporté le Vancouver Sevens avec l’Angleterre, et je dois dire que ce fut l’un des plus beaux week-ends de ma carrière. L'énorme trophée en bois massif, que j'ai tout juste réussi à soulever au-dessus de ma tête sur le podium, nous a accompagnés toute la soirée qui a suivi.
Si vous avez la chance de connaître la vie nocturne de Vancouver, vous êtes sans doute allés au Roxy. À l'époque, c'est là que se déroulait l'afterparty. Trophée en main, nous nous sommes retrouvés sur la scène et ça n’a pas dérangé le groupe qui jouait ce soir-là, qui nous a même encouragés à pousser la chansonnette.
Après une interprétation rapide et somme toute personnelle de Wagon Wheel (un hit country du groupe Old Crow Medicine Show, NDT), Gareth Rees et moi, voyant que notre réputation et le trophée étaient en jeu, avons quitté la scène, à l'abri des regards, pour profiter du reste de la nuit. Le trophée a survécu, tout comme ce souvenir pour Rees. Tandis que de mon côté, pour une raison quelconque, les souvenirs de cette nuit sont assez flous...
Il se souvient de ce genre de choses parce que c'est un joueur de rugby. Il comprend. Il voit la valeur des liens qui se tissent lors des troisièmes mi-temps, tant pour les joueurs que pour les supporters et les familles.
Rien d'étonnant donc, à ce qu'il soit ravi de voir la fête et la compétition la plus populaire se dérouler chez lui.
« 70 000 personnes pour voir du rugby, c’était inimaginable »
C’est une année historique pour le rugby canadien. Le pays fête ses dix ans en tant qu'hôte du Sevens international. « Tout a commencé après les Jeux olympiques d'hiver de Vancouver, en 2010. Tout le monde était enthousiaste », rappelle Rees. « John Furlong, qui dirigeait l'organisation, m'a contacté et m'a demandé si nous pouvions organiser un tournoi de rugby à VII ici. Et c'est ainsi que tout a commencé.
« Il m'a dit : ‘Pourquoi on ne pourrait pas faire comme Hong Kong ?’ Je me suis dit : ‘Tu te moques de moi, Hong Kong c'est Hong Kong !’ Mais il avait cette certitude ».
Il faut le reconnaître, c’est assez curieux qu’une ville accueillant les Jeux olympiques d'hiver devienne une étape régulière du circuit d'un sport qui fait fureur aux Jeux olympiques… d’été, depuis son apparition à Rio en 2016. Cette incroyable histoire continue de s'enrichir de nouveaux chapitres puisque l’équipe féminine du Canada va revenir cette année, chez elle, parée de sa médaille d'argent ramenée de Paris 2024.
« J’ai l’impression de vivre un rêve en ce moment », s’exclame l’internationale à VII comme à XV Asia Hogan-Rochester à l’évocation de l’épopée de l’été dernier.
On a rarement l’occasion de rêver d’une breloque olympique dans la vie de tous les jours. C’est un peu la même chose quand on pense à ce que le rugby canadien a réalisé avec l’accueil du tournoi de Vancouver.
« J’ai grandi dans cette province », explique Rees, qui vient de Victoria, la capitale de la Colombie-Britannique. « 70 000 personnes en un week-end dans ce stade pour assister à du rugby, c’était inimaginable. »
Depuis, le tournoi est devenu l’événement sportif annuel le plus important de l’ouest du Canada. Une consécration dans un pays où le hockey sur glace est historiquement le sport le plus populaire, tandis que le basket et le football sont en constante progression.
En tant que directeur des relations stratégiques au sein de Canada Rugby, Gareth Rees est conscient de la valeur économique de l'organisation du tournoi HSBC SVNS. Les retombées économiques à Vancouver se chiffrent à 24 millions de dollars l'année dernière.
Mais il voit plus loin que ça, lui qui a passé une grande partie de sa vie à faire en sorte que le Canada existe sur la carte du rugby mondial. « Le plus important, c’est que depuis dix ans, le tournoi a généré des financements pour la fédération et nos équipes.
« On n’a pas le Tournoi des Six Nations, on n’est jamais certains d’accueillir des test-matchs. Donc sur cette période, cela a financé le rugby, développé la pratique chez les enfants, impliqué tout le monde. Pour moi, c’est le plus remarquable. »
« Ils vont se mettre torse nu »
Rees admet qu'il s'agit en partie d'un heureux hasard : « Certaines choses ont commencé à se produire : les déguisements ! Nous ne sommes pas à l'origine de cette initiative ».
Le caractère cosmopolite de Vancouver a aussi joué un rôle majeur. « Vancouver est une ville pleine d’Australiens, de Néo-Zélandais, d’Irlandais et de gens qui en connaissent un rayon en fête. Les Canadiens ont adoré ça, pouvoir sortir et s’amuser. »
L’arrivée d’une compétition de Sevens a créé une nouvelle offre aux fans de sport. Le format d’un tournoi du circuit HSBC SVNS offre non seulement un week-end entier de fête, mais aussi une occasion pour tous de s’enflammer.
Rees se souvient des premières années, assis aux côtés de l’Australien Sean Maloney dans la tribune des commentateurs. « Le Canada a battu la France pour la 9e place. Scénario dramatique, avec une victoire en prolongations. Le stade était plein à craquer, ambiance de folie. Les gens ont pris beaucoup de plaisir à voir le Canada l’emporter. Ils ont vécu une expérience formidable dans un super stade. »
La réussite de grands événements, comme le HSBC SVNS à Vancouver, est le fruit d'un travail acharné, d'une attention particulière aux détails et d'une véritable compréhension des ingrédients nécessaires au succès. Rees et l'équipe de Canada Rugby ont su cocher toutes ces cases. Mais même les meilleurs organisateurs ont parfois besoin d’un coup de pouce du destin.
Lors de la première édition du tournoi en 2016, Rees avait choisi de supporter (temporairement) l’équipe masculine de Nouvelle-Zélande, une décision pas si spontanée, comme il l’explique aujourd’hui.
« C’était la première finale, la Nouvelle-Zélande la disputait. Je me suis dit : ‘Il faut qu’ils gagnent’. Je savais que si c’était le cas, ils allaient se mettre torse nu, faire le haka et ça ferait la une des journaux.
« Voir du rugby en une des journaux en Amérique du Nord, ça aurait été incroyable. Et c’est exactement ce qui s’est passé, c’était génial ! »
Depuis, la pelouse du BC Place a vu passer les plus grandes stars. Antoine Dupont y a fait ses débuts dans la discipline, sur le chemin qui allait le mener à l’or olympique à Paris.
La présence de vedettes en tribunes a également contribué au succès de Vancouver. L’acteur australien Chris Hemsworth a joué le jeu des photos avec les joueurs. L’acteur américain Jason Momoa, le chouchou des supporters, est venu vêtu d’un maillot old school de la Nouvelle-Zélande.
« Il était là et nous ne l'avons même pas payé », a promis Rees à propos de la star de Game of Thrones. « Il a juste fallu lui trouver de la Guinness parce qu'il voulait boire de la Guinness et qu'il n'y en avait pas dans le stade ! Ce genre de choses a permis de mettre le rugby en valeur grâce à l'événement ».
« Je veux raconter l’histoire »
Rees est incontestablement passionné de rugby. Il est entré dans l’histoire en devenant l’un des premiers joueurs issus d’un pays mineur à entrer au Hall of Fame de World Rugby avec la légende samoane Muliagatele Brian Lima. C’était en 2011.
Il porte haut le drapeau à la feuille d'érable depuis des années et j'étais curieux de savoir si cette quête patriotique l'animait toujours.
« Tout à fait. Ç’a toujours été le cas », insiste-t-il. « Que ce soit par le biais de commentaires ou d'autres choses, je veux raconter l'histoire des joueurs canadiens parce que nous n’en avons jamais eu l’occasion.
« J’ai passé ma vie à essayer de promouvoir le rugby en Amérique du Nord, et il n’existe pas de meilleur moyen de le faire qu’un tournoi de Sevens qui cartonne. »
La cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Tokyo, retardés par la pandémie de Covid-19, a marqué un tournant. Rees a vu Nate Hiriyama, star nationale du rugby à VII, mener la délégation canadienne en tant que porte-drapeau. « C'est quelque chose dont on ne rêvait même pas lorsque je jouais. »
J’espère continuer à tisser des liens avec Gareth Rees, et pas seulement parce que c’est un gars drôle : il m’a également empêché de casser le trophée du Vancouver Sevens.
Il reste une histoire à raconter. Pendant le tout premier tournoi de Vancouver en 2016, Rees était allé voir le service de sécurité, inquiet. Il avait appris qu'il s'était vendu plus de nourriture et de boissons au cours du week-end du tournoi de Sevens que pendant la saison entière des équipes des BC Lions (football américain) et des White Caps (football). Il craignait que la quantité de bière ingurgitée n'entraîne des problèmes.
Le personnel de sécurité l'a informé que, sur les quelque 45 000 supporters présents dans le stade au cours du week-end, il avait demandé à seulement six d'entre eux de quitter les lieux. Parmi ceux-là, cinq d'entre eux avaient reconnu qu'il était temps d'aller se coucher.